« Je ne savais pas que ça pouvait être aussi bouleversant de faire l’amour. Le passé, l’avenir, tout ce qui nous séparait mourait au pied de notre lit. Quelle victoire ! »
Simone de Beauvoir, Les Mandarins
Simone de Beauvoir, en 1947, a 39 ans. Elle règne, avec Sartre, sur le tout-Paris littéraire du haut de leur QG de Saint-Germain des prés, le Flore. Le couple mythique est lié par un pacte révolutionnaire à l’époque : pas de mariage, une union libre où chacun s’autorise des « amours contingentes » ne menaçant en rien leur « amour nécessaire ». Il est surtout lié par une formidable entente intellectuelle et Simone, à la fois muse et critique de Sartre, lui est indispensable. Quant à elle, elle profite moins, apparemment, de sa liberté et ne serait pas aussi vaccinée contre la jalousie qu’elle le proclame. Surtout que le pape de l’existentialisme vit alors une passion avec la belle métisse Dolorès… Simone accepte, la mort dans l’âme, une tournée de conférence aux Etats-Unis pour laisser le champ libre à celle-ci.
Elle ne sait pas encore qu’elle va rencontrer de l’autre côté de l’Atlantique son « amant américain », celui qui réconciliera la femme et l’intellectuelle, le corps et l’âme, et avec lequel elle vivra un amour passionnel pendant plusieurs années.
C’est l’histoire de cet amour que raconte Irène Frain, en s’appuyant sur la correspondance des deux amants, les témoignages de leurs proches, les romans souvent à clé qu’ils ont laissés, et en complétant les zones d’ombre par l’imagination.
Sorte de biographie romancée, ce livre restitue ainsi la rencontre des deux écrivains : Nelson Algren, « spécialiste des bas fonds de Chicago » est « engagé » par Simone de Beauvoir, omnubilée par l’idée de découvrir la face cachée du rêve américain. C’est en faisant la tournée des bars les plus glauques, des matchs de boxe et des boîtes à strip-tease qu’ils se sont peu à peu apprivoisés.
Leur liaison est tout de suite intense, basée sur un désir et une entente sensuelle apparemment très forts, et alimentée par leurs échanges sur leurs projets de livres respectifs (un roman pour Algren, rien de moins que Le deuxième sexe pour Beauvoir).
Mais plane sur cet amour l’ombre de Sartre, auquel Simone est encore très attachée, et de sa jalousie à l’égard de « la Maudite », Dolorès.
De départs en retrouvailles, les deux amants traversent tour à tour l’Atlantique, se retrouvent, se déchirent aussi de plus en plus. Quand il sont séparés, des lettres quasi quotidiennes, magnifiques, clament la force de leur sentiments. Celles de Simone sont surprenantes, venant de celle qui devient alors le porte-drapeau du féminisme : « Mon bonheur est entre vos mains, écrit-elle, je n’y peux plus rien, je dois accepter cette dépendance, je veux l’accepter puisque je vous aime » ou encore « Tant que vous m’aimerez, je ne vieillirai jamais, je ne mourrai pas ». Elle promet de faire le ménage, la cuisine, d’être une parfaite ménagère pour celui qu’elle nomme « mon mari chéri »! Le Castor (son surnom à Paris) et Simone seraient donc deux êtres distincts, deux faces d’une personnalité complexe ?
Quant à Nelson, malgré son côté torturé, c’est homme très séduisant et parfois fort romantique : il lui envoie, parce qu’elle se plaignait que sa voix lui manquait, un microsillon où il a fait enregistrer, dans un studio radio, un petit texte pour elle ; il lui fait livrer, juste avant son départ, dans le hall de l’aéroport, les plus belles fleurs qu’il a pu trouver…
La distance, dans une certaine mesure la gloire qui s’est abattue sur Nelson Algren après la publication de son livre L’homme au bras d’or, ont eu raison de cette belle histoire. Elle continuera cependant de hanter les deux amants, qui la transformèrent en fiction. Au matin de leur première nuit, Algren avait offert à Simone une bague en argent aux motifs incas. Elle l’a gardé toute sa vie durant, et a exigé de l’emporter dans la tombe.
On peut lire aussi les Lettres à Nelson Algren, un très bel exemple de correspondance amoureuse :