L’amour peut prendre des formes bien différentes et s’attacher parfois à des objets étonnants. Dans La Contrebasse de Patrick Suskind, actuellement interprété par Clovis Cornillac au Théâtre de Paris, on devine dès le titre que cet instrument, aux courbes si féminines, occupe une place particulière dans la vie de son propriétaire.
Seul sur scène, un contrebassiste à l’orchestre national nous parle de sa vie et de la relation passionnelle qu’il entretien avec ce qui est autant un outil de travail qu’une compagne de tous les jours. La comparaison entre la forme de l’instrument et celle du corps féminin est d’ailleurs filée autant dans le texte que dans les gestes de l’acteur, caresses sensuelles ou étreintes violentes.
Oscillant entre attirance obsessionnelle et répulsion, admiration amoureuse et dédain rageur, le héros de la pièce fait de sa contrebasse sa raison d’être autant que ce qui l’empêche précisément de vivre. C’est à cause de sa présence encombrante qu’il ne pourrait pas vivre pleinement une autre passion, elle aussi à sens unique, pour une jeune soprane ignorant jusqu’à son existence.
À travers l’évocation de cette femme, le personnage glisse doucement vers l’amertume et la colère, laissant transpirer toutes ses frustrations et ses angoisses, ses rêves brisés et ses regrets, dans lesquelles chacun pourra se retrouver.
Clovis Cornillac, formidable, rend à la perfection les élans contradictoires de son personnage. Aussi à l’aise dans le registre comique que le drame, il joue cette partition subtile de sentiments en virtuose.
La mise en scène ingénieuse repose essentiellement sur un décor plein de surprises, à l’image du héros de la pièce. Semblant d’abord vide, la scène se remplit grâce à des placards cachés et des éléments escamotables, comme autant de cases dans une vie compartimentée, pleine de refoulements.
Dans cette pièce triste débordant d’humour, les extraits de musique classique joués sur un tourne-disque sont de purs moments de grâce. On comprend que le seul amour que le personnage ne reniera jamais, c’est celui de la musique.
Ne ratez pas cet excellent spectacle, drôle et profond. Vous passerez un très bon moment et en ressortirez peut-être avec l’envie de hurler, comme le personnage, le nom de l’être aimé, tant qu’il en est encore temps.
La Contrebasse, de Patrick Suskind
Mise en scène de Daniel Benoin
Théâtre de Paris, jusqu’au 3 mai, du mardi au samedi à 21h