Les enfants du Paradis : ce n’est pas si simple, l’amour

« Les seuls films contre la guerre, ce sont les films d’amour », Jacques Prévert

Le film s’ouvre et s’achève quasiment sur les mêmes images : celles d’animations de rue, d’une sorte de kermesse permanente qui se tenait sur le « boulevard du crime » (surnom donné au boulevard du Temple au XIXe siècle du fait du nombre de crimes représentés sur les scènes de ses théâtres) : jongleurs, funambules, attractions diverses et même pantomime, incarnée par un Pierrot lunaire attachant, Baptiste Deburau (Jean-Louis Barrault).

Celui-ci aime Garance, femme libre, interprétée par une Arletty toujours aussi gouailleuse mais ici un peu désabusée, mélancolique. Mais Garance ne sait pas apprécier son amour, trop poétique et désincarné sans doute, et cède aux avances de l’audacieux Frédéric Lemaître, un acteur cabotin mais irrésistible (formidable Pierre Brasseur). Nathalie (Maria Casarès), compagne de scène de Baptiste, soupire quant à elle en vain pour le mime. Pour résumer, toute l’intrigue du film fait mentir la célèbre réplique (qui revient pourtant plusieurs fois) : « C’est tellement simple, l’amour ».

L’amour n’est pas simple, en revanche, ce qui est vrai c’est que « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment » puisque les personnages ne cessent de se perdre mais aussi de se retrouver, au hasard des rues, des cafés et des salles de spectacle d’un Paris tourbillonnant.

À plusieurs reprises, le film cède carrément la place au théâtre, et il nous est donné d’assister « comme si on y était » à la représentation délirante de l’auberge des Adrets par un Frédéric Lemaître déchaîné, ou à la pantomime féérique de Deburau, tous deux grands succès au box office de l’époque. Car ces personnages ont vraiment existé et la reconstitution historique est impressionnante – d’où l’intérêt de voir le film au cinéma, sur très grand écran, et qui plus est dans sa nouvelle version restaurée en haute définition.

L’autre intérêt de ce film fleuve (3h10m), élu « meilleur film de tous les temps » par les critiques à l’occasion du centenaire du cinéma en 1995, réside dans ses dialogues, du poète Jacques Prévert.

De Garance à son « protecteur », le comte de Montray :

« Vous êtes riche et vous voudriez être aimé comme un pauvre. Et les pauvres, on ne peut quand même pas tout leur prendre aux pauvres ! »

De Baptiste à Garance :

– « Je vous aime, et vous Garance, m’aimez-vous ?

– Vous parlez comme un enfant, c’est dans les livres qu’on parle comme ça ou dans les rêves. Mais dans la vie…

–  Les rêves, la vie, c’est pareil ! ou alors ça vaut pas la peine de vivre. Et puis qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse la vie, c’est pas la vie que j’aime, c’est vous ! »

Et bien sûr, une des plus célèbres scènes de drague de rue (“Ah, vous avez souri ! Ne dites pas non, vous avez souri”) :

Autant de bonnes raisons de voir ou de revoir ce chef-d’œuvre du cinéma, et d’approfondir avec l’exposition à la Cinémathèque, qui présente les décors du film (la façade du théâtre des Funambules), les costumes, les affiches et les photographies de tournage.

Les Enfants du Paradis, film de Marcel Carné, 1945, 3h10m.

Exposition à la cinémathèque, du 24 octobre au 27 janvier 2013.

Voir aussi : rétrospective Marcel Carné à la Cinémathèque, balades architecturales.

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